Cabinet médical du Docteur Martin

[Anne-Lise Martin]

Cabinet médical du Docteur Martin
Médecin généraliste conventionné secteur 1

Horaires :
9H-13H et 14H-19H du lundi au vendredi
9H-13H le samedi

[Claude Morvan]

Depuis le soir de la défaite, Claude se sentait abandonné, triste, coupable de son échec. Dès le lendemain, plus personne - ou presque - n'appelait son numéro. Prostré dans son lit des journées entières, il n'arrivait pas à assumer le monde extérieur. Il n'avait plus faim, plus envie de coït, plus aucun désir.
Il était rentré à Aspen comme on rentre chez soi un soir de semaine après le travail. Dans la rue, les gens le reconnaissaient, sans lui adresser la parole. Il y a quelques jours encore, il régnait sur une province immense, sur une ville de plusieurs centaines de milliers d'habitants. Aujourd'hui, qu'était-il ?
Pour éviter la confrontation avec sa famille, il avait loué une chambre d'hôtel depuis son arrivée. Finalement, il s'était décidé à aller consulter un médecin après s'être penché à la balustrade de sa chambre d'hôtel en se disant qu'après tout, la porte de sortie la plus évidente désormais était la voie des airs.

Le voici donc dans la salle d'attente du médecin le plus proche de l'hôtel qui, ironie du sort, était une ancienne camarade du MESS. Claude s'en foutait. Quoique. Au fond de lui, il avait toujours été attiré par cette jeune brune discrète. La pensée de cette jeune femme agissait au fond de son cœur comme une bougie battue par des courants d'air, sans s'éteindre.

[Anne-Lise Martin]

Anne-Lise était un peu en retard dans ses consultations aujourd'hui. Elle avait la mauvaise habitude de s'attarder sur le cas de ses patients, elle n'aimait pas les consultations expéditives. Elle regarda son planning et vit que le prochain patient n'était autre que Claude, qui avait pris rendez-vous sur le site RdvMédicaux.fc. Elle alla donc le chercher dans la salle d'attente 15 minutes après l'heure de rendez-vous.

- Tiens, Claude ! Ça alors pour une surprise... Je t'en prie, suis-moi.

Claude la suivit et elle le fit s'installer sur le fauteuil.

- Bien, je suis étonnée de te voir par ici. Dis-moi donc ce qui t'emmène ?

[Claude Morvan]

Claude s'installa dans le fauteuil face au bureau, et resta prostrée de longues secondes à regarder le visage d'Anne-Lise.

- Bah voilà, l'autre jour j'ai regardé dans le vide depuis mon balcon, et je me suis dit que sauter, ça serait pas mal. Je picole une bouteille de whisky par soir, j'ai toujours la pâteuse, je ne vois plus ma famille, ma femme est imbaisable.

Morvan, pour la première fois depuis des années, dut se retenir de pleurer.

- J'ai vraiment la sensation d'être une merde. C'était tellement bien quand j'étais gouverneur. J'avais une grosse berline avec chauffeur, des milliers d'administrés. Maintenant j'ai plus rien et tout le monde me crache dessus.

Morvan inspira un bon coup et leva les yeux vers le plafond pour calmer ses glandes lacrymales.

- Je crois que je fais une dépression.

[Anne-Lise Martin]

- Tu sais Claude, se réfugier dans l'alcool n'est pas la solution, mais je ne pense pas que je vais te l'apprendre. Mais est-ce là vraiment un état de détresse, ou simplement une réaction de nostalgie face à tous les avantages dont tu bénéficiais en tant qu'élu et que tu viens de perdre récemment ? Ne crois-tu pas qu'il y ait d'autres manières d'être épanoui que le confort matériel ?

Elle plissa les yeux en fixant Claude pendant quelques secondes.

- Tu vois, je pourrais te prescrire un traitement en déduisant que tu souffres de dépression mais ce ne serait pas t'aider. J'ai donc besoin de comprendre un peu mieux. Tes idées noires, à quelles fréquence reviennent-elles ? Ne sont-elles pas dues à la solitude avant tout ? Et ta femme, ne serait-elle pas un bon soutien en pareille circonstance ? Pas baisable, ça ne veut rien dire... Le sexe, c'est autre chose Claude.

[Claude Morvan]

- C'est pas du confort matériel. C'est bien au-delà. C'est recevoir des dizaines de coups de fil par jour, c'est pouvoir faire chier un maire socialiste juste avec un décret, c'est changer la vie de concitoyens du jour au lendemain, c'est être pris de 7h du matin à 23H. C'est une vie de fou. Déjà, avant ces mandats, ça n'allait pas fort. Heureusement, la politique m'a offert une compensation suffisamment prenante pour ne pas y penser... Maintenant, je perds tout. Non seulement je perds tout, mais je n'ai aucune perspective. Je suis archi grillé.

Claude se redressa un peu sur son fauteuil, et regarda par la fenêtre.

- Je sais pas ce que je donnerais pour revenir à mes trente ans, pouvoir choisir une autre femme, une autre voie. Ou bien revenir pendant mon mandat de gouverneur, pour annuler les conneries que j'ai faites.
Ce serait la seule solution pour s'en sortir... Tout annuler. Je n'ai aucune perspective. Par rapport à ma femme, ce n'est pas une question de sexe. Cela fait des années qu'on bat de l'aile. Je la trompe, elle me trompe. Quelle vie de merde.

[Anne-Lise Martin]

- Maintenant que ton train de vie a changé, ne serait-ce pas le bon moment pour te rapprocher de ta famille ? As-tu discuter de tout ça avec ta femme ? Il y a peut-être encore la possibilité d'arranger les choses. Tu sais, dans la vie il n'y a pas que la politique, je sais de quoi je parle. Il te faut trouver une autre occupation... N'as-tu pas des passions, des loisirs que tu aimerais réaliser ?

Pendant qu'elle parlait, elle lui fit signe de s'allonger sur le divan d'examen et prit sa tension à l'aide d'un tensiomètre et d'un manchon.

- Hmmm... 9/5, on a une hypotension, certainement orthostatique... Tu as consommé de l'alcool en quantité récemment, donc ? Pas d'autre substance ? As-tu parfois des vertiges ?

[Claude Morvan]

- Penser à cette bonne femme me donne de l'urticaire. Ma fille, pourquoi pas, mais je ne vois vraiment pas comment elle pourrait faire quoi que ce soit. Elle n'est bonne qu'à fumer des pétards et regarder des séries débilisantes. Ma seule passion, c'est la politique. Le reste est annexe...
Non, pas de vertiges. Pas d'autres substances non plus, à part les cigares. Et encore, ils ne me font même plus envie.

[Anne-Lise Martin]

- Bon, d'accord. Et au niveau sommeil, tout va bien ? Tu arrives à bien dormir malgré ta baisse de moral ?

[Claude Morvan]

- Pas vraiment. Je n'arrive pas à me faire à bouffer, alors qu'avant c'était un plaisir. Je me fais livrer des pizzas et des sushis à n'importe quelle heure. Je dors en fractionné sur mon canapé.