Tu m'en diras tant sur le libéralisme de Pinochet, je pense que là-dessus on est d'accord. J'avoue que je n'ai pas vu de documents sur les exactions de Pinochet sur une répression ethnique. Sur le côté traditionnaliste en tout cas, Pinochet était en voie d'imposer une politique conservatrice classique à l'image de ce qu'avait fait Franco, avec notamment l'abolition du droit au divorce qui avait été instauré par Allende, et s'est récupéré le soutien des plus fervents religieux, et aura même permis à des sectes d'inspiration catholiques de collaborer avec ses services de renseignements (un film est sorti dessus récemment, je n'ai plus le nom mais faudra que je le retrouve car c'était plutôt intéressant
).
Bien-sûr, il est revenu sur de nombreuses choses qui avaient été mises en place par Allende, car il se positionnait tout simplement comme l'antithèse de ce dernier et c'est aussi par le biais du fort rejet populaire envers Allende qu'il avait réussi à obtenir le plébiscite des Chiliens (sachant qu'à mon avis, le peuple s'est très vite senti con d'avoir suivi un tel olibrius
). Donc forcément, quand tu légitimes ton pouvoir en te positionnant comme le contraire de celui qui était avant toi, tu reviens sur ce qu'il a pu faire. À mon avis, Pinochet était beaucoup trop stupide et taré pour envisager de poursuivre un projet conservateur cohérent. Encore une fois, je suis totalement hostile à toute forme de conservatisme, mais pour moi le conservatisme ça reste avant tout une doctrine du statu quo en opposition à toute forme de progrès (quelle que soit sa nature...) ou à la philosophie des Lumières...
Et puis bon, je ne connais aucun Conservateur qui se réclame de Pinochet, tout comme aucun Nationaliste ne se réclamerait d'Hitler (d'ailleurs je croise aussi très peu de Socialistes, finalement, qui ont de l'estime pour Allende). Je pense qu'un profil qui se rapprocherait d'un Conservateur au sens philosophique du terme pourrait par exemple être Ronald Reagan - qui en plus poursuivait un projet économique pas si éloigné que ça de la philosophie friedmanienne.
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Enfin, conservateur ou néolibéraux, disons que pour l'époque, en tout cas pour les trois exemples de personnalité que je t'ai cité, c'était très lié. Mais en soit, dans ces cas-là, il y aurait autant raison de dire que Pinochet était un libéral, un conservateur (pour l'époque) ou un nationaliste. Concernant Friedmann, je parlais plus de l'admiration que ce dernier portait à l'action de Pinochet plus que de ce que Pinochet pouvait suivre de ses préceptes. C'est d'ailleurs à Friedmann qu'on doit le surnom de "miracle chilien" pour juger de l'évolution économique du pays pendant la dictature de Pinochet.
Un dictateur ne doit être assimilé à aucune philosophie politique, car un dictateur ne gouverne que dans ses intérêts par ses intérêts. En général, le dictateur n'a que faire de l'évolution de son pays, de sa situation sociale et du bien-être de sa population. D'ailleurs, je pense même que certains Socialistes de conviction pourraient vivre comme une insulte le fait qu'on assimile Allende au socialisme. Tout comme des Conservateurs n'aimeraient pas qu'on leur assimile Pinochet. Pour les Libéraux, c'est encore pire... Pour moi, un Libéral est quelqu'un qui est fondamentalement attaché aux libertés, qu'elles soient humaines ou économiques. Ceux qui comme cet étron de Friedman avaient la prétention d'incarner la philosophie libérale tout-en se satisfaisant de voir des mecs comme Pinochet sévir dans leur pays, demeurent très critiqués dans la communauté libérale...
Tu te trompes quand tu parles de la relation Castro/Allende. Les deux hommes étaient très proches, mais pas en phase sur le plan politique, bien que proche car visant un objectif commun. Castro reconnaissait les différences qui subsistaient entre eux sur la façon d'atteindre l'idéal socialiste - pour Castro la révolution armée, pour Allende la révolution dans le respect du cadre institutionnel. Castro n'avait d'ailleurs pas manqué d’embarrasser Allende en public sur ce qu'il trouvait peu crédible dans sa façon de gouverner, et ce afin de justifier sa propre vision du socialisme qui d'après Castro passe inévitablement par la rébellion armée.
Allende avait beau se réclamer différent de Castro, il utilisait tout de même des méthodes très proches de celles du régime cubain. Un type qui affame son peuple, emprisonne voire fait disparaître ses opposants les plus virulents, gouverne de manière totalement autocratique, contourne ouvertement le Congrès et les lois pour faire passer certaines choses, a une attitude hostile envers les médias qui ne sont pas à sa botte... Ce n'est pas un président démocrate et encore moins quelqu'un que l'on peut admirer. Alors ok, Allende n'était pas un adepte de la révolution par les armes, mais son concept de "révolution dans le respect du cadre institutionnel", c'était un leurre énormissime.
Bon et puis j'aimerais bien voir ce qu'il arriverait à un président démocrate, de nos jours, s'il utilisait les services secrets d'une dictature pour assurer sa protection personnelle.
Sur l'action des services secrets cubains, l'influence était réelle, effectivement. Et elle n'avait rien de comparable à l'influence dont se servait les renseignements extérieurs américains à l'époque pour nuire aux intérêts chiliens. On peut tout à faire reprocher à Allende de s'être acoquiné avec le régime cubain sur ce point, mais pour l'époque, n'importe quel président chilien, qui aurait subi la pression des puissances étrangères occidentales que subissait le Chili d'Allende, se serait bien abstenu de cracher sur le moindre soutien disponible face aux USA. Parce que la grande démocratie américaine était prête à tout pour renverser la république chilienne et y établir une dictature fantoche. Je rappelle le bon mot de Nixon à la CIA au sujet du Chili, "Make the economy scream" (cf les documents déclassifiés de 74). Faire hurler l'économie chilienne dans le but de favoriser l'insurrection contre Allende et de protéger les intérêts américains dans la région (et surtout d'y réduire l'influence des communistes). Dieu sauve Nixon et l'Amérique qui ont réussi dans leur entreprise, ont renversé le tyran communiste et ont instauré la belle démocratie sauce Pinochet qui aura tant profité au Chili, qui en paye encore les réparations.
On ne combat pas le mal en s'associant à un autre mal. Il y avait une autre voie qu'être dans le camp des totalitaires cubains pour combattre les manipulations américaines. En tout cas, ni les USA ni Cuba n'étaient des interlocuteurs décents. Le Chili aurait tout simplement pu suivre une autre voie et s'affranchir de ces parties prenantes de la Guerre Froide, d'autres pays l'ont bien fait après tout. Pour ce que tu dis sur les sévices commis par les Américains en Amérique du Sud, je suis tout à fait d'accord avec toi, les Américains ont fait un réel carnage dans la partie sud du continent et cela explique aussi pourquoi aujourd'hui encore, la majorité des Sudams sont hostiles aux Américains. Mais quand bien même, cela ne justifie pas l'acoquinement, je ne suis pas d'accord quand tu estimes que le Chili n'avait d'autre choix que de se soumettre à l'un ou à l'autre.
Mais n'oublie pas non plus l'importance de l'influence étrangère car il faut se rappeler qu'Allende, avec sa politique très protectionniste ne s'est pas fait que des amis. En fait, sa politique de nationalisation de nombreux secteurs de l'économie l'a fait se mettre à dos de nombreux acteurs étrangers, et beaucoup d'acteurs américains et internationaux se sont dès lors opposé aux politiques d'Allende (rien de très surprenant cela dit). Et il faut se dire que sur la fin, la grève des camionneurs a reçu un soutien financier conséquent des États-Unis à l'époque, tandis que les revendications simili-prolétariennes de la grande "marche des casseroles" émanaient quasi totalement des beaux quartiers de Santiago de Chile.
Ça en effet c'est une chose. Ce sont les arguments avancés à l'époque par l'opposition de droite mais je pense que ce n'est pas en ce sens qu'Allende s'est attiré l'hostilité de son peuple. Ce qui semblait gêner le plus, selon ce que j'ai pu lire, c'est qu'Allende se torchait ouvertement avec le droit chilien, la preuve en est qu'il a refusé d'appliquer des milliers de décisions rendues par la Cour Suprême chilienne, car elles n'allaient pas en son sens à lui. On appelle tout simplement ça un mépris des institutions et du processus démocratique.
On n'est pas là pour juger de ce qui aurait pu être ou non au Chili, en tout cas me concernant, je préfère me fier aux faits. Allende n'était pas le moindre piètre des dirigeants chiliens mais il ne mérite pas d'être assimilé à celui qui a causé sa chute, ni d'être rangé dans la section des dictateurs sanguinaires. Allende a agi sur la fin comme un dirigeant autoritaire pour faire appliquer un projet mais non pour accumuler le pouvoir entre ses mains - il s'est d'ailleurs, tout au long de son mandat, appuyé sur une coalition pluripartite diversifiée qu'il estimait infiniment plus efficace pour mener à bien le projet socialiste qu'un parti unique comme c'était de mise dans le reste des pays communistes.
Pour moi il n'y a pas de sous-catégories dans la famille des dictateurs. Bien que non sanguinaire, Allende était bel et bien un dictateur. Sous Allende, il n'y avait pas de séparation des pouvoirs surtout à la fin (comme tu l'as dit), les décisions de justice n'étaient jamais respectées, les opposants étaient réprimés et les médias en partie privés de leur liberté de presse. Pour moi, ces éléments suffisent à classifier Allende dans le camp des dictateurs. On pense trop souvent que les seuls dictateurs sont ceux qui font des milliers voire des millions de morts, mais en fait cela englobe davantage que cela.
D'ailleurs, puisqu'on parle de ceux qui accumulent le pouvoir entre ses mains, il est faux de dire que Pinochet est parti de lui-même. Il est parti après un référendum qui, s'il lui avait été favorable, auraient maintenu ses pouvoirs jusqu'en 90. Référendum qu'il a donc perdu à la faveur de ses adversaires, avec 44% seulement de soutien, le forçant à renoncer au pouvoir. Ça ne l'a pas empêché de rester à la tête de l'armée par la suite, et ce jusqu'à se décider à prendre sa retraite à 83 ans, tu parles d'un renoncement.
Pinochet aurait tout à fait pu se torcher avec les résultats de ce référendum et rester tout de même. D'ailleurs, on dit qu'apparemment, il aurait beaucoup hésité à respecter ou non la décision populaire, et que ce sont ses proches conseillers qui lui auraient demandé de s'en aller, histoire qu'il bénéficie d'une douce fin de vie.
Au final, sur l'idolâtrie au sujet d'Allende, elle ne me semble pas si exagérée que ça quand on voit l'idolâtrie autour de figures politiques bien plus contestables. Mais je pense que l'admiration qu'il suscite réside infiniment plus dans l'image de sa chute que dans son oeuvre comme président.
Moi si, cette idolâtrie me semble tout à fait déplacée et elle me dérange donc. Il suffit de se documenter pour comprendre qui était vraiment Allende ; or il me semble quand-même que lorsqu'on idolâtre quelqu'un, on le fait en connaissance de cause. Je ne vois décemment pas en quoi Allende pourrait incarner un idéal, y compris pour des Socialistes convaincus. Ce mec est justement la marque d'une dérive totalitaire du socialisme, à mon avis il y a de meilleures figures historiques du socialisme qui mériteraient autant de crédit.
Allende est surtout un symbole pour la gauche, le symbole des tentatives, qu'on les apprécie ou pas, de changer le fonctionnement de l'économie sans passer par un bain de sang, d'une voie alternative vers la fameuse utopie socialiste. Mais aussi et surtout le symbole de tous les régimes qui ont sombré dans les pires dictatures que l'Amérique latine a connu parce que les Etats-Unis, en quête de limiter à tout prix l'influence de leur rival soviétique et de protéger leurs intérêts économiques, en ont décidé ainsi. Le Plan Condor auquel les Etats-Unis ont apporté leur soutien, c'est près de 70 000 morts, plus de 400 000 arrestations d'opposants politiques. En Europe, Allende est le symbole le plus connu des conséquences de l'impérialisme étatsunien en Amérique latine pendant la Guerre Froide, même si je te l'accorde, il n'en demeure pas moins controversé en tant que président.
À défaut de passer par un bain de sang, Allende l'a fait en pissant ouvertement sur les institutions, sur le parlement et sur son peuple. Ce n'est guère mieux en fait... Et puis de toute façon, les types qui vont t'ériger Allende en héros sont les premiers à prétendre combattre les régimes autoritaires qui existent aujourd'hui. Curieuse contradiction...
Et en cela, je trouve le symbole d'Allende, président controversé mais élu démocratiquement, renversé par la force et remplacé par un dictateur meurtrier au nom de la lutte contre le danger rouge, bien plus tolérable que celui de Pinochet, montré encore aujourd'hui en exemple, comme le héros du Chili qui a redressé l'économie et l'a sauvé du communisme, qui a obtenu la bénédiction des élites occidentales et qui a pu vivre tranquille dans son pays jusqu'à sa mort, malgré les quelques 130 000 de ses concitoyens qui ont subis des détentions arbitraires et inhumaines et les quelques 40 000 qui ont subis la torture sous son autorité. Et même malgré les 27 millions qu'il a détourné, c'est dire comment on l'a laissé tranquille.
Allende est le symbole d'un président élu démocratiquement qui, dès lors qu'il détenait le pouvoir, a appliqué une politique autocratique et autoritaire au mépris comme je l'ai dit des institutions et de son peuple. Quel symbole, ça fait rêver. :/
Pinochet un héros ? Alors les seuls qui osent penser ça sont soit ceux qui n'ont pas étudié du tout l'histoire, soit ceux qui sont ouvertement adeptes de la dictature.
Et rien que pour ça, pour moi, quelque soit ton avis sur Pinochet ou Allende et même au fond que tu considères ou non les deux comme des dictateurs, en terme de bilan, tu ne peux pas les traiter de la même façon. Allende n'était pas un sanguinaire comme Pinochet et quel que pu être l'action d'Allende sur l'économie, elle n'atteindra jamais le poids du bilan humain de la dictature de Pinochet.
Cf ce que j'ai dit plus haut, pour moi il n'y a que deux familles : les dictateurs et les autres. Les dictateurs sont de sombres étrons, sanguinaires ou non. Et j'aimerais pour finir dire que Pinochet et Allende sont très bien là où ils sont désormais, six pieds sous terre.