Fanilo venait de quitter son bureau à l'Hôtel de Ville, et il avait roulé à tombeau ouvert, jusqu'à La Véranda. Il n'avait pas eu le temps de ruminer sur le trajet. Les longues heures passées seul dans son grand bâtiment municipal, lui avaient semblé un enfermement insupportable. Il y avait tourné comme un lion en cage. Là, il avait besoin de respirer. De revoir ses amis, ses camarades. Les seuls qui étaient restés. Les marristes s'étaient quelque peu éloignés depuis qu'il avait endossé l'étiquette régionaliste, même s'ils clamaient haut et fort une proximité idéologique. Mais Fanilo n'avait pas besoin de ça. Il avait besoin de retrouver la racine de son combat.
Il entra dans le restaurant.
- Joshua ! Où sont les gars ?, cria-t-il à la dérobée.
- Commandant Fanilo ! Quel plaisir de te voir, lui répondit ledit Joshua. Entre ! Ils sont dans l'arrière salle.
Il poussa la double-porte battante qui gardait une salle obscure. Des hommes en treillis y étaient attablés, fumant, buvant, jouant aux cartes. Quelques filles courtement vêtues se redressèrent en voyant débarquer le lion enragé qu'était Fanilo à cet instant. La plupart s'éclipsèrent. Les hommes, eux, ne bougèrent pas. Ils échangèrent des regards appuyés avec le Commandant. La tension était palpable. Puis Fanilo commença à rire, doucement. Son visage finit par se fendre d'un éclat de rire tonitruant. Il fut bientôt imité par la demi-douzaine d'officiers présents dans la salle, goguenards. L'un d'eux s'approcha.
- On commençait à se dire que tu nous avais oublié, Commandant, lui dit l'homme à la carrure impressionnante qui lui tendait une main gigantesque.
- Oh non ! Malik, je ne vous ai pas oublié ... A mon plus grand regret d'ailleurs ! conclut le Commandant en attrapant le géant dans une accolade virile.
Les rires fusèrent à nouveau. Fanilo empoigna une bouteille de rhum d'Île-Kana, dont il but le quart en quelques gorgées. L'hilarité s'estompa un peu quand Fanilo finit par s'asseoir.
- Mes camarades, je vais quitter la municipalité.
Les regards se figèrent. Toute l'attention se cristallisa autour des prochains mots qui allaient sortir de la bouche de Fanilo. Il poursuivit.
- Il faut rappeler qui-vous-savez. C'est lui qui avait raison. Le tremplin politique ne peut pas se faire si l'on ne mène pas dans le même temps, la guérilla que mérite notre peuple. Et la Municipalité de Port-des-Indes est un placard où l'on m'enferme en espérant que ma révolte s'assèche.
Les miliciens poussèrent un hourra. Il continua.
- Port-des-Indes mérite sa rébellion. Comme toutes les autres villes. Et je ne pourrais pas m'occuper de celle-ci, en restant les pieds et poings liés par des contingences adminsitratives !
Acclamations.
- Nous allons, ensemble, fonder une force qui marchera sur deux jambes. L'une politique, que j'alimenterais avec ma connaissance du terrain médiatique. Et l'autre, militaire, qui nous fera reprendre nos positions endormies, dans la brousse d'Antsiranana, des jungles jusqu'aux montagnes. Je veux que vous preniez le maquis. Allez rallumer les postes de contrôle. La Frôce doit se souvenir que nous ne sommes pas une région comme les autres.
Il fit signe à l'un des hommes de lui apporter une carte. Il envoya à terre tout ce qui traînait sur la table, et étala son plan.
- Nous devons prendre le lac Alaotra, c'est le point névralgique le plus proche pour une action de grande ampleur stratégique. Si nous le maîtrisons, nous tenons le Grenier d'Antsiranana. Toutes les rizières alentours seront sous notre contrôle. Avec ce pouvoir économique, nous pourrons négocier des accords avec le Sud de l'île, qui verra d'un bon oeil notre travail pour plus d'indépendance.
Les regards satisfaits appuyaient la validation du plan.
- Que chacun d'entre vous mobilise 20 hommes. Que ces 20 hommes en mobilisent 20 à leur tour. Et rendez vous dans notre QG du parc Zahamena.
Un homme qui s'était éclipsé pour passer un appel revint, visiblement agité et excité.
- Il arrive !
Fanilo esquissa un sourire. Revoir une vieille connaissance était toujours un plaisir. Même lorsqu'ils ne s'étaient pas quitté en très bon termes.