Bureau du Ministre

[Aritz Alves Alarcón]

77, quai Albertas - Bureau du Ministre

[Alexandre Lamrabet]

Alexandre Lamrabet était arrivé un peu plus tôt dans la journée dans le cadre d’une rencontre entre Julien Citron et lui. Les deux hommes étaient d’anciens collègues, il avait eu la chance de côtoyer l’actuel chef du gouvernement frôceux. Alexandre espérait bien que la situation actuelle allait s’arranger et qu’il répondrait favorablement à ses propositions. Alexandre comme à son habitude revêtit de son plus beau trois-pièces avait l’air plutôt détendu, assez déterminé et lancer parfois des sourires narquois. Il venait d’apprendre à l’instant que le ministre allait le recevoir.

[Julien Citron]

Julien était confortablement installé à son bureau et en train de terminer les derniers rangements. La passation avec Léna Voligni avait été d'un ennui mortel mais ça y est, il se sentait de nouveau chez lui.
On lui signala l'arrivée d'Alexandre Lamrabet. Il n'avait visiblement pas apprécié la remontrance publique du ministre sur son manque de transparence. La loi était la loi et il était bien décidé à ne rien céder aux grandes entreprises qui n'avaient pas besoin de jouer à ce petit jeu. Il voulait cependant que l'entretien se passe bien car il ne voulait pas d'histoires.
Lorsque Alexandre frappa, il l'invita à entrer.

[Alexandre Lamrabet]

La porte venait de s’ouvrir laissant ressortir une clique d’homme habillé tout de noir sûrement les salopards de la foutue Commission des fraudes. Alexandre entre à son tour et venait d'être annoncé par les hurlements du crieur. Alexandre serra franchement la main du ministre, une façon de montrer qui est le maître de la situation. Alexandre dévisageait son interlocuteur et affichait continuellement un sourire narquois. Il prit place sur l’un des fauteuils sans que le ministre l’invite à le faire et déboutonna sa veste.

- On peut se tutoyer ?

[Julien Citron]

Julien n'avait jamais été en bons termes avec Alexandre Lamrabet. Il avait certes été invité à son mariage à Norijo mais il était venu par courtoisie et pour l'unité du parti. Désormais il avait face à lui le chef d'une grande entreprise frôceuse, or il était la bête noire des chefs des grandes entreprises frôceuses.
Tandis que Lamrabet faisait comme chez lui il maintint son sourire béat mais le couvrait d'insultes intérieurement.

Mettez-vous à l'aise monsieur Lamrabet. Je peux vous proposer un Bourbon, à moins que vous ne préfériez rester sur un Pastis d'Aspen. Ah, j'ai peut-être du Porto blanc cuvée millésime 83 en stock. Je vous apporte ça.

Julien revint avec un plateau sur lequel figurait toutes les bouteilles qu'il avait mentionnées. Il se servit un Porto blanc.

Que puis-je pour vous monsieur Lamrabet ? Avant toute chose sachez juste que je ne fais qu'appliquer la loi même si je déplore la brutalité de la commission des fraudes. Un courrier a été envoyé à la direction pour demander plus de tact. Je vous écoute.

[Alexandre Lamrabet]

Et dire que 2 ans plus tôt, les deux hommes étaient assis côte à côte pendant les séances plénières du bureau politique du Parti socialiste. Effectivement, la relation entre eux était un peu mitigée, mais Alexandre n’était pas là pour se faire des amis. Le plateau de liqueur devant lui, Alexandre choisit de prendre un demi-verre de Pastis. Son interlocuteur s’était servi un Porto Blanc, mais Alexandre savait que Julien détestait ça. Pourquoi agit-il ainsi ? Il veut se montrer plus fort ? Il veut montrer qu’il contrôle la situation… Il venait sans doute de faire l’une des plus grosses gaffes.

Alexandre affichait toujours son sourire narquois et son air quelque peu méprisant. Il écoutait moyennement ce que disait son interlocuteur, mais faisait tout de même l’effort de le regarder. Son interlocuteur venait terminer de parler, Alexandre décide alors de prendre la parole.

- Vous avez envoyé une bande de malfrats pillés mon bureau dans l’espoir de trouver une quelconque accusation contre moi. Vos équipes ne trouveront rien malheureusement parce que, je suis homme discret et très rusé. Ce parc est majoritairement financé par de riches investisseurs étrangers et vous venez de vous mettre à dos, une bonne partie d’entre eux.

- Pour vous faire pardonner, je souhaiterais que ETI remporte votre appel d’offres concernant la rénovation des prisons et la construction de nouveaux centres hospitaliers et psychiatriques sur le territoire. Je souhaite aussi que vos équipes déguerpissent d’ici demain de mon bureau.
Malgré toute la haine que vous avez pour moi, je souhaiterais que vous tiriez bénéfice de ce que je m'apprête à vous proposer. Vous vous vantez de votre mérite et de vos nombreuses compétences, il vous faudra sûrement les mettre à disposition des plus riches de ce pays. Tu es de gauche et crois-moi, je m’en contrefiche, mais l’avenir du pays ne tient qu’à toi et les décisions que tu risques de prendre durant ces prochains jours.

Alexandre sirotait son Pastis en regardant du coin de l'oeil son interlocuteur qui paraissait à première vue détendu, mais très embêté aussi.

[Julien Citron]

Julien affichait un sourire encore plus béat à mesure que Lamrabet égrainait ses injonctions. Il opta pour une réponse avec tact.

Mais les équipes de la commission des fraudes seront rappelée et le ministère tiendra un conseil de discipline contre les dirigeants qui ont décidé d'utiliser la méthode brutale. Je vous prie d'accepter mes excuses pour ces désagréments que je n'approuve pas.

Il but une gorgée de porto blanc.

De riches investisseurs étrangers vous dites ? J'espère pour vous qu'ils se plient à la loi car je resterai inflexible. La loi prévoit en effet que des investisseurs étrangers en Frôce pratiquant l'évasion fiscale sont susceptible d'être poursuivi par l'Etat pour fraude fiscale si le montant du préjudice est supérieur à un million de Pluzin. Et vu les sommes engagées, je crois qu'on est sur plus sur du milliard que sur du million.

Il s'alluma une cigarette et pris une première bouffée.

Je suis très conciliant du moment que la loi est respectée. Je ne demande pas grand-chose, seulement la publication de vos comptes de manière annuelle. Comprenez que la somme de 50 milliards qui est engagé suscite l'inquiétude du fisc quant à sa provenance. Je refuse que les projets d'infrastructure en Frôce soient financées par de l'argent sale vous m'entendez bien ?
Concernant l'appel d'offre de la rénovation des prisons et des hôpitaux initiée par le gouvernement Lubenac, je suis prêt à étudier sérieusement votre candidature et la mettre en haut de la pile du moment que vos comptes soient publiés et que je sois assuré que l'argent ne vienne pas de sources douteuses.

[Alexandre Lamrabet]

Alexandre écoutait imperturbablement son interlocuteur proférer des menaces aux patrons. Son verre de Pastis à la main, il affichait toujours un grand sourire. Son interlocuteur avait enfin marqué un temps de pose… Il avait terminé de déblatérer. Alexandre profita pour reprendre la parole et imposer ses intentions.

- Nous sommes libres en ce qui concerne la publication de nos comptes annuels, vous n'êtes pas là pour nous dicter notre comportement. Vous pensez êtes qui à prétendre que les patrons de ce pays sont des personnes sans foi, ni loi. Nous faisons de notre mieux pour garder l’économie de ce pays attractif et inciter le plus possible, les investisseurs étrangers à nous faire confiance. Vous êtes très loin des réalités économiques pour quelqu’un qui se vante d'être un « bon » ministre de l’Économie. Vous êtes nul, Citron !

- Vous êtes en train de nous saquer à longueur de journée, vous imposez des lois contraignantes difficilement conciliables avec nos objectifs annuels. On essaye d'embaucher et de contribuer à notre façon à l’économie de ce bled ! Les socialistes devraient être plus reconnaissants que ça envers le patronat… Le patronat boude sévèrement vos lois et vos intentions ne nous font nullement peur. Vous employez toujours les grands mots face à la population quand vous parlez des patrons. Oui, ce sont des VOLEURS, des GOURMANDS et des SALOPARDS ! On pense quoi des socialistes dans tout cela ? !

- Vous êtes vraiment sérieux à me demander de publier à nouveau mes comptes alors que vos sbires de la Commission des fraudes ont déjà tout vu… Il me faut cet appel d’offres et je compte sur vous pour me permettre de le décrocher. J’oubliais les grandes banques du pays veulent que vous leur faites un petit cadeau de 3 % sur les impôts que vous leur prélever… Oui ? Et aussi, les assurances veulent que vous libériez quelques parts de la société ANF Assurances que détient l’État à ce jour. Faites des efforts, mon ami ! Tout le monde trouvera son compte.

Alexandre venait d'être interrompu par la réception d’un message qui l’informait que la Bourse avait clôturé ce midi en hausse d'environ 2 %. Alexandre avait-il quelque chose à voir derrière tout ce manège. Les socialistes devaient rogner sur les bords et les patrons étaient désolés que cela tombe exactement sur eux.

[Julien Citron]

Tandis qu'Alexandre montait d'un ton et qu'il déroulait ses exigences, Julien essaya de rester impassible.

C'est bon, vous avez fini de passer vos nerfs sur moi, vous êtes détendus maintenant ?

Julien se leva et alla se positionner devant la fenêtre, en tournant le dos à Lamrabet.

Je veux bien admettre que j'en ai toujours beaucoup trop demandé aux patrons mais premièrement je refuse qu'on me menace, et deuxièmement, si vous êtes là pour me couvrir d'insultes tout en rampant devant moi pour obtenir un appel d'offre, alors vous pouvez disposer et quitter ce ministère.

Il fit une pause et se retourna vers son invité.

Dites moi... depuis quand vous êtes le porte-parole des banques et des assurances ? Quelque chose m'échappe, vous avez été missionné par eux en venant ici ? Ils vont ont demandé de venir presser du Citron pour le mettre dans l'embarras ?
Et vous croyez que je vais répondre de manière affirmative à vos demande alors que vous me menacez ? Ces choses-là ne prennent pas avec moi, je suis déçu que vous ne le saviez pas et que vous tentiez le coup. Les choses que vous demandez... ou plutôt que vous exigez vont à l'encontre du programme socialiste, je suis donc dans l'obligation de ne pas y accéder.
En revanche, ma proposition d'appuyer votre candidature pour l'appel d'offre tient toujours si vous m'assurez que vous publierez vos comptes chaque année et que vous ne tenterez pas d'exil fiscal. Le patronat n'a pas à interférer avec la politique du gouvernement fédéral, ce n'était pas le cas hier, ce ne sera pas non plus le cas demain.
Voilà ce que je peux faire pour vous, à prendre ou à laisser.

Julien retourna s'asseoir sur son fauteuil et termina son verre de Porto blanc. Il fixa le patron avec assurance.

La balle est dans votre camp.

[Alexandre Lamrabet]

Alexandre observait le petit manège de Citron tout en continuant à siroter son verre d’alcool. Il ne pouvait s'empêcher d'éclater de rire aux injonctions du soi-disant ministre de l’Économie. Il déposa son verre et se mit à son tour debout en se dirigeant vers le bureau de Citron. Il s’accouda de ses deux mains sur son bureau et reprit la parole.

- Menace ! Je ne vois pas où il y a une quelconque menace ? ! On vous demande juste de lever le pied parce que certains secteurs d’activité voient leur activité s’abaisser jour après jour. Tout cela à cause de vos stupides lois à la con… Le socialisme a toujours aimé fricoter avec le patronat pourquoi pas vous ? Une bonne partie de jambes en l’air ? On paye même l'hôtel si vous voulez…

- Vous devez sûrement savoir que le patronat m’a accordé une fonction particulière dans leur organisme. J’étais un ancien homme politique, ils savent qui envoyer pour rencontrer Citron. J’ai envie de faire des efforts, mais vous n’en faites pas de votre côté. Vous voulez la publication de nos comptes annuels alors faites des propositions à votre tour ! L’ensemble des secteurs de ce pays ont besoin de vous alors arrêtez de faire le malin et soyez ce que vous avez promis d'être, une force de proposition.

Alexandre regagne aussitôt sa place. Il venait de jeter un coup d’œil à son smartphone, il avait reçu le message suivant : "C’est bon, les machines sont dans les airs. Éthiopie, ON ARRIVE !" Alexandre referme aussitôt son smartphone et écoute la réponse de son interlocuteur.